
Au sujet du rapport de la Commission d’enquête sénatoriale sur les aides aux entreprises
Le rapport commence par souligner la nécessité de recourir aux aides aux entreprises, en reconnaissant leur définition fluctuante, en raison du contexte économique compétitif mondialisé (libre-échangisme) et au niveau élevé de prélèvements en France justifié par le modèle social français (école/santé).
Le rapport évoque ensuite les différents mécanismes utilisés aux différents échelons, obéissant chacun à différents niveaux de contrôle et différents niveaux de conditionnalité.
En général, on retiendra la difficulté et le temps à consacrer pour les entreprises (notamment pour les PME) pour comprendre les mécanismes et l’éligibilité, et la difficulté pour l’administration d’avoir une vision d’ensemble.
L’idée ici n’est pas vraiment de faire un résumé du rapport, mais d’en critiquer les recommandations.
Notre idée est que les recommandations formuler viennent desservir le travail de longue haleine réalisé par la commission d’enquête, et condamnant celle-ci à n’être jamais suivie de conséquences.
Pour répondre à ces problèmes, le rapport, qui souligne bien le problème d’absence de centralisation, ne le résout aucunement en chargeant de multiples autorités de contrôle (INSEE, HCP…) de suivis divers et variés. Ce n’est pas cohérent, alors même que les membres de la commission ont pu constater et regretter l’enchevêtrement des responsabilités et des compétences entre organes, ces recommandations laissent franchement à réfléchir quant à la volonté (et à la capacité) à améliorer l’édifice.
Le rapport appelle à d’hypothétiques « chocs » (transparence, etc), qui n’auront jamais lieu, en l’absence de volonté politique. Dissoudre le travail et la responsabilité entre un maximum d’organes est l’assurance parfaite qu’aucun choc ne surviendra jamais.
On peut souligner la bonne foi du président et du rapporteur, et l’apport au niveau informationnel des auditions publiques enregistrées et diffusées. Il y a énormément de matière pour comprendre la vie des entreprises, leurs difficultés réelles, parfois leurs arrangements avec la vérité ou ce que leurs représentants enjolivent. Également la vie des administrations, où transparait un véritable problème d’organisation, mais avec des compétences non mises à profit ; avec des responsables d’administration qui n’ont pas de vision globale (et peut-être n’est-ce pas leur rôle) par défaut d’autorité, d’un cap clair et de volonté politique de comprendre, simplifier et améliorer.
On s’aperçoit, en écoutant et lisant les rapports, des énormes différences dans les problèmes rencontrés par les grandes entreprises évoquées ayant récemment déclenché des PSE.
Par exemple, comment comparer ARCELOR MITTAL et AUCHAN ? Les problèmes de l’un viennent des prix de l’énergie, et du dumping chinois sur l’acier contre lequel les autorités bruxelloises ne font rien, malgré les annonces faites en avril 2025.
Les problèmes de l’autre viennent de choix stratégiques, de changements dans les modes de consommation, et de la prise de parts de marché par le hard-discount.
Comment comparer MICHELIN et LVMH ? Les problèmes du premier ressemblent davantage à Arcelor Mittal, en raison sur le dumping chinois sur le pneumatique, avec une problématique accentuée sur le coût de la main d’œuvre. Concernant LVMH, il s’agit d’une réduction par départ à la retraite pour un secteur bien particulier, le champagne, en raison d’une baisse du CA après de très hautes années post-Covid.
N’est-il pas vain de vouloir absolument trouver une grille générale de « contreparties » pour des situations aussi différentes ? Encore plus « controversé », ne devrait-on pas plutôt fixer ces contreparties par rapport à la production en France que sur l’emploi ? Aussi important soit-il de défendre les salariés devant des mesures vexatoires et moralement (si ce n’est légalement) douteuses par certains acteurs, aussi nécessaire soit-il de protéger les salariés engagés lorsque ces derniers se retrouvent dans des bras de fer avec leur direction, la vie des entreprises passe également par des cycles et les variations d’effectifs peuvent survenir.
Un tableau public reprenant chaque année les aides de tous types des entreprises du CAC 40, les 20 plus grandes entreprises non côtées et les 20 plus grandes coopératives françaises permettrait d’avoir une idée plus claire de la situation actuelle, permettant d’une part de comprendre les problèmes entreprise par entreprise. Mais c’est le minimum pour pouvoir débattre des sujets liés: plans sociaux, rachats d’actions, versements de dividendes, délocalisations..
Cela pourrait être fait en dehors de l’administration, par exemple en créant un pôle spécialisé dans une université française, afin de permettre une étude et un suivi (un peu plus) indépendant et (un peu plus) pluridisciplinaire, avec des professeurs spécialisés, des contrats doctoraux sur le sujet… Cela permettrait d’associer les étudiants à la recherche dans un secteur à la croisée du droit et de l’économie. Considérant les sommes en jeu, il parait nécessaire que les aides d’Etat deviennent un réel sujet de recherche qui ne se cantonne pas au monde juridique. Car sans recherche, sans travaux, comment débattre ?
Néanmoins, un véritable problème évoqué au fil de la commission est celui du difficile accès à l’information. Le Ministre Lombard lui-même, durant son audition, a indiqué1 ne pas avoir accès aux aides fiscales et aux impôts payés par les entreprises ! Outre le caractère étonnant de cette information, il est impossible d’améliorer la transparence des aides aux entreprises sans une volonté politique centrale et les permissions d’accéder aux informations issues de divers services.
Ce rapport sera-t-il condamné à finir dans les archives sénatoriales? Le rapporteur Fabien Gay, qui n’a pas hésité à hausser le ton durant la commission et en dehors, aura-t-il la carrure nécessaire pour poser les jalons d’une véritable analyse des aides d’état sur le long terme?
- Audition du Ministre Lombard, Page 492 du Tome III du Rapport n°808 du Sénat https://www.senat.fr/rap/r24-808-3/r24-808-31.pdf ↩︎
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